mercredi 28 novembre 2007

Il me manque...

... "ça" me manque. Ses réflexions me manquent. Ses vérités me manquent. Jean-Jacques Delfour me manque !




"Professeur de philosophie en CPGE Lettres et ESC (blablabla)" et surtout, encore et toujours, professeur de cette matière tarabiscotée intitulée "Psychosociologie de la Communication" pour faire joli dans le cursus de l'étudiant en publicité, histoire qu'il ne soit pas condamné à élaborer des stratégies marketing toute sa vie (si toutefois il se voit un jour confier l'élaboration d'une stratégie marketing) sans un regard critique préalable.

Bête à dire / à écrire, mais que ne donnerais-je pas pour assister à nouveau, quelques heures par semaine, à ses cours soporifiques pour les uns, passionnants pour les autres (ou l'autre)... (comme dirait l'autre).


Voici pour mon petit plaisir un extrait d'un de ses articles, une de ses réflexions intenses mais non moins passionnante et publiée dans La Libre Belgique du 11 avril 2007.


Attention.. criant de vérité.


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L'internet, mer castratrice.


Il est politiquement incorrect de le dire. L’internet est pourtant nocif : il amplifie l’absence du monde induite par la télévision, dont il n’est qu’une variété développée. L’illusion de révolution technologique masque la réalité d’une régression infantile encore discrète. En effet, l’internet détruit la structure du signe, rend impossible l’éducation, propose l’éternité à la place de l’immortalité, aggrave l’inexpérience du monde, l’isolement des individus et l’infantilité de l’adolescent, assure une domination inapparente de la machine. La télévision immobilisait, l’internet castre. [...] De même, l’internet n’est qu’une sorte de télévision : une pseudo vision à distance dans laquelle des simulacres électroniques sont apportées sur l’écran de l’ordinateur. À une différence près : l’apparence d’activité. Le zappeur semblait passif. L’internaute croit naviguer : il s’imagine choisir et décider. Mais cette navigation est illusoire et multiplement destructrice.

Ruine du signe. Le signe demande à renvoyer toujours à autre chose que lui-même, certes. Mais ce mouvement de renvoi n’est ni automatique ni infini. L’hyperlien ne cesse de renvoyer indéfiniment à un autre que lui-même, dans une absence manifeste de cohérence. Le champ des signes linguistiques est un réseau qui suit des logiques diverses mais compréhensibles (syntagmatique, paradigmatique, étymologique, historique, contextuel, etc.). Le fonctionnement des hyperliens est arbitraire, souvent trompeur, en tout cas, mécanique et incohérent, voire pervers. Un enfant, à la recherche d’une règle de grammaire, peut aboutir à un site pornographique ; un étudiant d’histoire à un site négationniste. [...]

Empêchement de l’éducation. Celle-ci consiste à conduire hors de l’enfance, pour aller à la rencontre du monde réel, armé d’outils appropriés. L’affirmation ministérielle, dénuée de tout fondement et démentie en permanence, que la connaissance se trouverait dans l’internet et pas à l’École, a favorisé la croyance qu’elle gisait ailleurs, jamais ici, chez les autres, jamais en soi-même. [...] L’infinité du réseau – des milliards de pages doit-on s’extasier – discrédite tout effort de constituer, dans son esprit, un viatique estimé infinitésimal. Quelle folie pourtant que juger son esprit à l’aune d’une grosse machine bricolée dont l’unité est seulement technique, la plus grande hétérogénéité régnant sur les contenus.

Congédiement de l’événement. L’infinité virtuelle de l’internet accroît fâcheusement une illusion proprement adolescente : se croire éternel – désir qui semble s’étendre à tous, plus personne ne voulant vieillir. L’adolescent, qui désire conserver l’enfance sans ses inconvénients, peut trouver dans l’infinité virtuelle des milliards de pages, qu’une myriade de vies ne suffirait pas à parcourir, une sorte d’image, spéculaire mais objectivée dans la technologie, de son propre désir d’éternité. [...] Travailler et œuvrer à une grande chose digne d’être transmise, c’est fabriquer de l’immortalité, familiale, sociale, politique, scientifique, etc. L’activité de dilution indéfinie dans l’internet, disséminée dans des gestes sans réalité, sans effet sinon minuscules, au sein d’un océan présumé infini, est une sorte d’éternité factice, stérile et lisse.

Raréfaction de l’expérience du monde. L’internet, c’est certes la disparition de la communication au profit d’une simple connexion, la perte de cette situation commune où sa propre parole et celle de l’autre s’articulent, se frottent et s’affrontent. [...] Conséquemment, l’adolescent et avec lui l’homme technophile et jeuniste ne font plus l’expérience du monde en première personne. Leur inexpérience du monde s’accroît en même temps qu’elle devient invisible : elle est masquée par l’activité frénétique de l’internaute qui ne s’aperçoit même pas qu’il ne navigue nulle part.

Ainsi, englué dans une immobilité travestie en agitation connective, figé dans des prospections statiques, collé à des écrans irréels et fascinants, l’adolescent croit exister en tripotant son clavier et en stimulant sa souris. [...] L’internet lui ôte toute force réelle, toute capacité d’affronter la réalité : larve gigotant dans un désert de palissades colorées, épuisé avant que d’être, il régresse en somnolent dans une fœtalité arrangée par les machines en berceau mental.

L’adolescent, dont l’esprit est connecté et la volonté castrée, est comme la cellule neuronale d’un immense cerveau technologique, petite partie d’une mère océanique, dans laquelle il peut s’assoupir en paix, délesté de son propre corps et de la réalité anguleuse du monde...


Jean-Jacques Delfour.


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